Cider with Laurie

02 juillet 2006

Vive l'administration

Le commentaire de Snivel sur mon précédent billet me remet en mémoire un épisode du grand feuilleton de notre administration légendaire : "Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?".

Lorsque j'ai eu 18 ans j'ai commencé à prendre des leçons pour passer mon permis de conduire. J'ai donc préparé le dossier pour ce faire, qui comprend notamment comme vous le savez sans doute deux photos, dont une est destinée à orner votre sésame rose pour le reste de votre vie.

Par ailleurs, il se trouve que je souffre d’un défaut de fabrication (qui a dit oulah si c’était le seul ????) : je suis myope et astigmate assez velument, et donc je porte des lunettes depuis mes 4 ans vu que c’était bien évident avant même que j’aille à l’école, c’est vous dire ! Mon ophtalmo attitré m’avait toujours dit que je pourrais porter des lentilles à partir de 18 ans, la vue étant relativement stabilisée à cet âge et les yeux assez forts pour supporter ce mode de correction.

Entre deux leçons de conduite, petits cours pour payer lesdites et cours à l’école d’ingé je ne manque donc pas d’aller voir ce brave homme, qui me fait l’ordonnance tant attendue après m’avoir assurée comme à chaque fois, la mine gourmande, que j’avais un très joli fond d’œil, avis aux amateurs !

Je vais ensuite sur ses indications dans une officine bizarre rue de Rivoli, un local planqué derrière un ascenseur où sévissent les grands maîtres de la secte des lentilles (à l’époque on n’en trouvait pas chez tous les opticiens comme maintenant). Après moult mesures ils me produisent les petits bouts de plastique tant convoités, et me voilà partie pour (à l’heure actuelle) 32 ans de carrière de lentilleuse (dont 25 avec celles d’origine, quand même, ce qui prouve qu’ils savaient de quoi ils parlaient !). Maintenant j'en ai des progressives, même que !

Entre-temps voilà arrivé le moment crucial de passer mon permis. Je vous passe les essais, mais enfin il y en eut un transformé. Le gourou des feuilles roses sort son carnet, commence à remplir, regarde mon dossier pour ce faire, et avise alors sur ma photo les magnifiques cluques (patois toulousain) qui y ornaient alors mon petit nez mutin. Pris d’une trouille rétrospective il s’étonne que là maintenant, j’aie eu l’outrecuidance de conduire 1/2h sans prothèse. Je lui explique que là maintenant, j’ai des lentilles, et que oui, je peux lire la plaque de la voiture devant. Oui, le macaron sur la lunette arrière aussi. Oui, le panneau là bas sans problème….
L’inspecteur de permis de conduire lambda est difficile à convaincre, il semble.

Mais l’inspecteur de permis de conduire lambda de l’époque est aussi mono programmé.
J’aurais eu une photo sans lunettes, il n’aurait même pas battu un cil pour signer ma feuille. J’aurais eu mes culs de bouteille habituels pour passer l’épreuve, idem. Mais là il y a discordance, ça le fait plus. Il est déstabilisé. L’angoisse de faire comme il faut est palpable. Je vois le moment où je devrais une fois de plus repasser devant son arbitrage, malgré mon résultat positif. Quand soudain LA solution apparaît en lettres de feu dans son cerveau illuminé.
Il me fait un grand sourire (oh que je n’aime pas ça …) et me dit « Voilà ce qu’on va faire : »
On, tu parles, lui il est tranquille.
« Je vous le donne pour 5 ans, et vous devrez repasser une visite médicale tous les 5 ans pour vérifier votre vue ! » Je le traite -mentalement- de tout, et je prends mon papier en remerciant. Que faire d’autre ?

5 ans plus tard nous retrouvons notre héroïne à Toulouse, mariée, et même légèrement enceinte, tant qu’à faire. Je me renseigne et me retrouve là où il faut au jour dit pour passer cette foutue visite médicale. C’est en juillet, et donc je suis en robe légère, sandales à talons, cheveux relevés, bref, la panoplie de greluche qui va bien. Et je me retrouve dans une salle d’attente remplie de routiers plus imposants et rustiques les uns que les autres, qui me regardent un peu bizarrement. A l’époque les routières étaient encore très peu nombreuses. Vous imaginez mon malaise, timide comme j’étais.
Le médecin me reçoit, un peu surpris de sa cliente, m’examine, me palpe.
M’annonce avec un grand sourire « Mais vous êtes enceinte, vous savez ! » Heu, oui, merci, je suis au courant. Ca ne doit pas lui arriver souvent de détecter ça dans les bedons de ses patients habituels.
Vérifie ma vue de jour, de nuit, par temps de brouillard, sous la pluie, au soleil, dans l’obscurité, en montagne, sous la mer, à l’envers, à l’endroit ….. Tout va bien.
Il me regarde soudain, et se décide à poser la question qui le turlupine depuis le début :
« Mais …. vous conduisez quelle sorte de camions ? »

Morte de rire je lui explique les états d’âme de l’inspecteur parisien, et que bien sûr je ne conduis que ma p’tite auto pour aller faire mes courses ou partir en vacances. Lui aussi éclate de rire et se répand en sarcasmes bon enfant sur les parisiens et leur tatillonnisme.
« Moi je vais vous le donner définitif, votre permis, ma p’tite dame. » m’annonce t il, à mon grand soulagement.
J’ai donc éternellement 23 ans sur la photo de mon permis, mais le dernier volet précise : « Ne peut conduire que muni de verres correcteurs, lentilles cornéennes ».

Je suppose que maintenant, on ne fait plus d’ennuis à quelqu’un qui porte des lentilles. Mon plus jeune fils n’a eu aucun problème avec ça (eh oui, mère indigne, je leur ai refilé à tous les deux des mirettes défectueuses …).
C’est ça d’être une pionnière !

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